LA MEMOIRE EN MARCHE
Libre, fidèle et indépendante. Jetée au vent de l'espérance, contre l'oubli et pour demain...

Jean Ferrat, Nuit et brouillard.

A Jean Ferrat, et à l'idée de l'Homme qu'il défendait.

Curieusement, la chanson " Nuit et brouillard" de Jean Ferrat trace sa route vers le succés au milieu des années yéyé. 1ère édition NN en 1963Chantée pour la première fois en 1963 par son auteur compositeur, elle ne reçoit guère d'écho favorable auprès des producteurs d'émissions de télévision. Et c'est contre l'avis du directeur de l'ORTF de l'époque que Denise Glaser (1920-1983) dans son émission DISCORAMA offre à Jean Ferrat  l'occasion de la présenter au public. Le succés est immédiat, et le public suit l'artiste. La maison Barclay imprime le vinyl.

C"est tout d'abord l'histoire familiale qui amène Jean Ferrat sur le terrain de la Déportation. Il est le fils d'un émigré russe, installé en France en 1905. Son père, Mnacha Tenenbaum; est juif non pratiquant et exerce la profession d'artisan joaillier. Alors que la famille est installée à Versailles depuis 1935, Mnacha est victime des mesures de répression raciale édictées en France. Arrêté par la Gestapo, puis interné dans le camp de transit de Drancy, il est déporté vers Auschwitz par le convoi du 30 septembre 1942. Il ne survivra pas. Le traumatisme de cette disparition est terrible pour Jean. Il évoquera d'ailleurs cette blessure dans sa chanson " Nul ne guérit de son enfance " dans laquelle il écrit: "Celui qui vient à disparaître / Pourquoi l'a-t-on quitté des yeux / On fait signe à la fenêtre / Sans savoir que c'est un adieu / Chacun de nous a son histoire / Et dans notre coeur à l'affût / Le va-et-vient de la mémoire / Ouvre et déchire ce qu'il fut."

Le titre " Nuit et brouillard " fait référence d'une part au documentaire d'Alain Resnais (1955) consacré au drame de la Déportation. Ce film conçu "comme un dispositif d'alerte" (Jean Cayrol - Lettres françaises - 1956)  sera la cible d'une censure acharnée à lui barrer la route du festival de Cannes. Il y sera présenté mais placé hors compétiton pour ne pas courir le risque qu'il reçoive un prix !  Nuit et brouillard fait enfin référence à la directive " Nacht und Nebel " voulue par Hitler en 1941 afin de fixer le traitement particulier réservé aux ennemis du Reich, à savoir la mort ou la déportation.

Appréciez dans l'interprétation ci-dessous, la vérité des mots et la profondeur du regard de Jean Ferrat, porté par le souvenir d'un père volé à son enfance, et par la volonté de garder dans la lumière, le souvenir de Jean-Pierre, Natacha et Samuel.
Pour cette oeuvre, Jean ferrat reçut le grand prix du disque de l'Académie Charles-Cros en 1963. 


Une étrange torpeur gagne nos esprits lorsque le 13 mars la triste nouvelle tombe. Jean Ferrat s'est éteint. Une étrange torpeur comme si déjà quelque part la montagne, la liberté et la femme, tant aimées, tant chantées, portaient en elles en cette journée de mars, le deuil d'un amant ou d'un ami exemplaire. Il s'agissait bien de cela. Un guide venait de s'en aller, abandonnant nos pas sur une route truffée de précipices. Cela aurait été trop facile d'ailleurs. Oui trop facile de compter sur lui encore et encore pour dire tout haut nos intimes coincidences, lui le poing serré, et nous planqués derrière nos (in)consciences ! Cela aurait été trop simple de l'entendre encore plaider contre l'injustice et le silence, lui au front de sa fidélité, nous coupables et versatiles. Le constat était bien celui-ci. Tant qu'il était là, nous savions qu'à n'importe quel moment sa voix fendrait nos coupables soumissions. Mais maintenant, nous serions désormais seuls pour lutter le verbe haut, et porter ses idées nobles, contre l'oubli et le mensonge. Nous ne ferons pas l'éloge ici de l'immense poète. Nous ne dirons simplement que notre admiration pour " l'homme " immense qu'il restera, et pour le sillon difficile qu'il a tracé obstinément dans notre mémoire collective. Qui, effectivement, parmi ceux qui s'investissent dans le devoir de mémoire, ignore la chanson "Nuit et brouillard" ? Comment ne pas aimer un homme qui une guitare à la main empêche le sang de sécher dans les camps de nos pères ? Et comment ne pas aimer enfin celui qui "twisterait les mots s'il fallait les twister", pour que nous sachions finalement qui nous sommes vraiment ?
A la question souvent posée de la pérennisation, à l'avenir, de la mémoire de la déportation, Jean Ferrat a répondu par une oeuvre devenue incontournable. L'art est une réponse. L'art en a la force. Il nous l'a prouvé.

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