F. Cremer, Le groupe de Buchenwald.
En 1952, le sculpteur allemand Fritz Cremer participe avec succès au concours lancé un an plus tôt pour l’attribution du projet de mémorial du camp de Buchenwald. Le président du jury n’est autre que le premier ministre est-allemand, Otto Grotewohl. Inspirée des Bourgeois de Calais (Auguste Rodin, 1884-85), l’œuvre n’est inaugurée que le 14 septembre 1958 après bien des tergiversations, liées nullement à des considérations esthétiques ou artistiques, mais à des positionnements idéologiques et politiques. Malgré les trois ébauches présentées par Fritz Cremer entre 1952 et 1958, les critiques ne cessent pas, essentiellement parce que l’artiste, selon l’avis de ses détracteurs ne place pas au premier plan l’action de la résistance communiste face au fascisme. Fritz Cremer n’est cependant jamais mis en cause sur son engagement politique personnel, jugé sincère et fiable malgré des critiques de sa part ouvertement exprimée vis-à-vis du pouvoir à la botte de Moscou. Peut être parce qu’il sait rester dans le domaine qui lui tient à cœur, celui de la liberté de création. Mais il ne peut empêcher la récupération propagandiste de son œuvre, et donc son instrumentalisation.
La volonté de Fritz Cremer est d’utiliser la réalité du camp de concentration nazi de Buchenwald, la dureté de la vie quotidienne, les injustices, les brimades, la faim, la mort toujours
présente, le désespoir, les doutes mais aussi la foi en l’homme et la camaraderie, ceci afin de délivrer un message symbolique pour l’homme lui-même. Et pour ce faire, Fritz Cremer rassemble dans
son œuvre, les représentants identifiables de plusieurs groupes d’individus, qui face à l’épreuve du camp, ont réagi différemment.
Et les voici tels qu’il nous les dépeint, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs espoirs et leurs doutes. Comme celui qu’il appelle « le jeune » (personnage complètement à gauche du groupe). Enfant ou adolescent, son visage n’est déjà plus que celui d’un vieillard, usé par la vie dans le camp, mais résolu à lutter contre l’inhumanité. Comme le « porte-drapeau » brandissant la bannière déchiquetée de la barbarie nazie, qui n’oublie pas de protéger le plus fragile. Comme ce « combattant » prudent et avisé qui rassemble ses forces, et observe. Sa véritable arme, c’est lui-même, mais s’il doit se servir du fusil qu’il a en main, il n’hésitera pas. Comme celui « qui prête serment », ce serment de Buchenwald pour construire un monde nouveau et meilleur. La main dressé vers le ciel, il indique à tous qu’il est prêt au sacrifice, et que même s’il s’effondre tel « celui qui chute » devant lui, ce sacrifice-là ne sera pas vain. Comme encore « cet autre combattant » accablé par les insuffisances de ses semblables, qui lancera, comme son « voisin avec la couverture », malade, ses dernières forces dans la bataille. Comme ceux qui les suivent, le « prédicateur » d’abord, qui avec conviction exprime la légitimité du combat à un second, « celui qui discute », qui malgré ses incertitudes, serre les poings pour abattre le tyran. Comme enfin ces deux derniers personnages, mis délibérément à l’écart du groupe. Le « sceptique » d’abord, éloigné de l’action et de ce qui pourrait le sauver, et le cynique « négatif », celui qui « sait tout mieux que tout le monde ». Seul ce dernier est jugé, littéralement « mis au pilori ».
Pour Fritz Cremer, l’ensemble de ces comportements a construit la tragédie du peuple allemand, ce peuple qui a vu sortir de terre le terrible camp de Buchenwald à quelques kilomètres seulement de Weimar, la ville de Goethe et de Schiller.
Affiche de propagande utilisant le groupe sculptural de Fritz Cremer
Biographie de l’artiste:
Fritz Cremer est né le 22 octobre 1906 à Arnsberg (Allemagne). Il décède le 1er septembre 1993 à Berlin.
Après une formation de tailleur de pierre, il fréquente diverses écoles d’Art plastique pour rejoindre en 1937 la Villa Massimo, l’Académie allemande de Rome. Malgré des convictions communistes affichées, le régime national socialiste ne semble pas lui tenir rigueur d’une jeunesse si précocement engagée, certainement plus attentif dans son cas à tirer parti de son talent. Il participe même à la Seconde Guerre Mondiale comme artilleur dans la Wehrmacht, l’armée régulière allemande, de 1940 à 1944. Sa carrière militaire s’achèvera en captivité en Yougoslavie.
Fidèle à ses idées, Fritz Cremer rejoint en 1950 la République Démocratique Allemande (RDA ou DDR), occupant à l’académie des Beaux Arts un poste de professeur avant d’en assumer jusqu’en 1983 la vice-présidence. Cet artiste a intégré dés 1949 dans son travail de création, la mémoire de la déportation avec la réalisation d’un premier mémorial dans le camp de concentration d’Ebensee, annexe du camp autrichien de Mauthausen. Outre son œuvre la plus célèbre, le Groupe de Buchenwald (bronze, 4 mètres de hauteur), il conçoit celui du camp de Mauthausen baptisé « O Deutschland, bleiche Mutter* » (bronze, 2 mètres 30), et en 1961 le mémorial « Muttergruppe** » (bronze, 2m10) placé sur l’avenue Dorferstraβe en direction du camp de Ravensbrück.