Matricule 34900
« Ceci est un livre de bonne foi » indique dans sa préface Edmond LOCARD. Il rajoute même, « atroce avec simplicité » ! Si ce texte en effet se passe de tout effet de style, il n’y perd pour autant ni sa sincérité ni son intensité. Le récit ne cherche nullement à s’échapper de la brutalité des faits pour basculer dans des théorisations inconsistantes. Et c’est là qu’il trouve sa force et tout son sens. Rien d’étonnant à ceci puisque la première mouture de cet ouvrage est datée de 1946. Une année à peine sépare André PEDRON de son enfer sur terre. Avec si peu de recul, il décide de faire confiance simplement à la mémoire de son corps et de ses sens, et livre un récit le plus direct et le plus littéral possible. Il réussit parfaitement dans ce travail de mémoire, parvenant à transporter son lecteur, à l’initier aux odeurs, aux visions et aux sentiments quotidiens des déportés.
« Depuis combien d’heures sommes-nous ici ? Nous n’avons plus la notion du temps. La soif nous torture. Le jeune homme est maintenant complètement fou, mais pas dangereux. Un autre, un grand blond, suit le même chemin. Les malades ne se comptent plus. La pluie s’est mise à tomber. Il fait presque frais. Les heureux qui sont près de la lucarne inventent des systèmes ingénieux pour recueillir l’eau qui tombe du toit. Ils se battent pour pouvoir humecter ainsi leurs lèvres. La dernière nuit est horrible. Les malades gémissent. Les fous hurlent et marchent sur les corps de ceux qui essaient de dormir. Ce sont des batailles ininterrompues. Je ne sais pas ce qu’est l’enfer, mais je crois que nous en avons eu là un aperçu… » Extrait du chapitre : Le délire.
Neuengamme - La place d'appel.
Au fil du texte, le lecteur traverse les mêmes épreuves, les mêmes espoirs aussi, souvent en s’effrayant du pire survenu jour après jour. Comment d’ailleurs imaginer que des hommes aient pu survivre dans de telles conditions ? Car derrière chaque douleur, il y avait une autre douleur, et derrière chaque camarade assassiné, des dizaines d’autres le suivaient. Dans le destin concentrationnaire d’André PEDRON, tout devient difficile à entendre, et à croire. La tension va crescendo, jusqu’à la perte de connaissance (réelle ou littéraire…) de l’auteur, plongé dans un Bergen Belsen dévasté, parvenu au seuil du supportable, et certainement du racontable. Si dans une fiction de son cru, l’auteur était parvenu à entretenir un tel sentiment de tangence à la vie, il aurait pu être félicité pour son scénario. Malheureusement, il n’y est foncièrement pour rien, la seule vérité du drame n’étant imputable qu’aux bourreaux.
« Comme si la maladie et la faim ne suffisaient pas, les SS et leurs abjects serviteurs exterminent encore. Le lendemain de notre arrivée (à Bergen Belsen), soixante prisonniers descendent d’un camion. Ils sont restés trois jours sans manger. Pour une raison inconnue, ils se sont révoltés en cours de route contre leur kapo, qui faisait partie du convoi et n’avait dû son salut qu’à l’intervention des sentinelles. En arrivant à Bergen Belsen, il signale le fait aux SS. Alors quatre soldats aidés par deux prisonniers, choisissent quinze hommes parmi les soixante arrivants, les font mettre à genoux, et devant leurs camarades horrifiés, les frappent à coups de bâtons jusqu’à ce que mort s’ensuive, à titre d’exemple. Je n’ai pas pu assister à cette scène, je me suis sauvé, bouchant mes oreilles de mes deux mains pour ne pas entendre les hurlements de ces malheureux, mais je les entends encore". Extrait du chapitre : Bergen Belsen, le camp de la mort.
Bergen Belsen - Vue générale.
A son retour en France, André PEDRON se remit à aimer la nuit, « ces belles nuits de printemps comme il n’y en a que chez nous». Il ne pouvait pas se douter que rapidement ce serait le silence qui s’abattrait sur ses mots. Son ouvrage s’achève ainsi. Brutalement. Sur une page-couperet. Une page qui évoque la France et la liberté retrouvée. Peut-être aussi entre les mots, une France qui allait se détourner, et laisser les rescapés des camps seuls panser leurs plaies.
Parcours de l’auteur: l’engagement de résistant d’André PEDRON débute dès la défaite militaire de la France. Ainsi en 1940, alors directeur administratif du dépôt de la société « Les consommateurs de pétrole » basée à Saint Priest (69), il parvient à soustraire aux occupants d’importantes quantité de carburant. Son action sera par la suite diversifiée, de la fabrication de faux papiers à la quête d’informations diverses (mouvements sur l’aéroport de Bron ainsi qu’en gare de triage de Saint Priest-Vénissieux) au bénéfice du réseau Mithridate (à compter de 1943), jusqu’à des sabotages de trains. Un détenteur de faux papiers dont il était l’auteur malheureusement parlera sous la torture et livrera son nom. Arrêté le 19 octobre 1943, il est incarcéré dans la prison lyonnaise de Montluc. Il sera durant cette première phase de détention régulièrement interrogé dans les murs de l’Ecole de Santé militaire, rue Berthelot. Par la suite, il est transféré au camp de Royallieu à Compiègne (60), où il séjourne du 21 mai au 4 juin 1944, avant d’être déporté dans le camp de Neuengamme (kommando Porta-Westfalica). Face à l’avancée des troupes alliées au début 1945, il est finalement évacué vers le camp de Bergen Belsen dans lequel il sera libéré le 15 avril.
Matricule 34900, de Montluc à Belsen par André PEDRON - Editions BGA Permezel - 2007 - ISBN: 2-909929-31-0