Détenu 20801
" Alors, il faut bien que quelques-uns se dressent pour parler. Il faut le faire à la place de ceux qui ne sont pas revenus et qui n'ouvriront plus jamais la bouche ici-bas. Mais il faut se forcer. On n'en a pas envie. Il faut se faire violence pour essayer d'entrouvrir ce lourd secret qui est là, lové quelque part à l'intérieur de notre chair et de notre esprit. Il faut le faire à cause des notres, à cause de tous ces visages qui nous habitent. Comment les oublierions-nous tous ces camarades, ces frères aimés et trop tôt disparus ? Leur mémoire nous hante et nous poursuit. Elle monte des clairières de la forêt allemande avec les volutes âcres du "four", elle s'imprégne dans l'ombre gluante des cachots, elle flotte sur les places d'appel, les tunnels, les chantiers, les baraques, et tant de lieux où ils ont agonisé solitaires..."
Détenu 20801, par Aimé Bonifas - Editions Marrimpouey (1966)