Un médecin français en déportation
« Je dédie ce livre à la mémoire des innombrables victimes broyées dans cette machine infernale, aux camarades d’infortune, morts de misère et d’épuisement, réduits à l’état de squelettes, et dont les tortures morales ont dépassé sans aucun doute les souffrances physiques. Leur souvenir comme celui de toutes les victimes de la cruauté nazie m’a été constamment présent dans la rédaction de ce mémorial, destiné aussi à faire connaître aux familles de ceux qui ne sont pas revenus, la somme des douleurs et des humiliations dont ils ont été abreuvés avant de succomber sous ce fardeau trop lourd. Peut être ces pages apporteront-elles aux mères, aux épouses, aux fiancées, si dignes dans le malheur, si courageuses dans le deuil, un renouveau de leur peine, à la lecture des souffrances endurées par les êtres chers. Mais elles y trouveront aussi la consolation de savoir l’attitude fière, calme et résignée de la majorité des Français dont les bourreaux ont torturé les corps sans réussir à dompter les âmes ».
Le Dr Paul Lohéac est arrêté le 24 mai 1944 pour avoir soigné un maquisard blessé, et surtout pour ne pas l’avoir dénoncé. Après un séjour dans le camp de Compiègne, il prend la direction du camp de concentration de Neuengamme le 28 juillet 1944. Le matricule 39936 lui est attribué à son arrivée.
« Vous êtes des bagnards ! Et n’oubliez pas qu’au camp de concentration votre seul droit, c’est l’injustice ! ». SS Rottenfuhrer Fiekers (Hambourg, octobre 1944)
Après sa période de quarantaine, Paul Lohéac est envoyé dans plusieurs kommandos de la ville de Hambourg dont celui de l’usine Shell (traitement de carburants) et celui des déblaiements des rues et des tranchées. Par la suite il sera médecin dans la prison centrale de Hambourg puis dans le kommando Spaldingstrasse, au centre ville de Hambourg. Les déportés de ce kommando étaient utilisés en particulier à des travaux extrêmement durs au bénéfice des chemins de fer. Gravement atteint par le typhus, il achèvera son tragique parcours à Sandbostel, un mouroir où finalement les déportés furent abandonnés à leur propre sort, jusqu’à leur libération par les troupes britanniques.
Comme dans chacun des témoignages évoqués dans cette rubrique, on retrouve au cœur d’évènements partagés par nombre de déportés, une analyse plus personnelle des situations vécues. L’auteur ici apporte son éclairage de médecin, à travers l’inventaire des pathologies identifiées dans les kommandos, ainsi qu’à travers les comportements humains face à l’abjection des camps. Il complète enfin cette analyse par son regard de chrétien, pour conclure sur ces mots : « Le système concentrationnaire en soi et d’où qu’il vienne est un mal que le chrétien a le devoir de dénoncer avec vigueur. L’oppression de l’homme par son semblable, dans ces odieuses conditions, heurte si formellement le précepte du Christ : Aimez-vous les uns les autres, et même la simple loi naturelle, que jamais plus on ne devrait revoir pareil crime contre l’humanité. Tel est le sens de notre témoignage, à nous, les survivants ».
Un médecin français en déportation– Docteur Paul Lohéac – Editions Bonne Presse– 1949