Mes printemps de barbelés
« Pour la déportation, j’aurais pu faire état de maints exemples de la malfaisance quotidienne des SS et de leurs auxiliaires, toujours à la recherche de nouvelles tortures. Bien des ouvrages sur la déportation en ont porté un juste témoignage. J’aurais peut-être pu dépeindre avec plus de détails le quotidien de nos vies dans la démence des camps de la mort lente. Insister sur l’angoisse qui nous gagnait chaque matin dès que l’on ouvrait les yeux quand le guttural Aufstehen ! nous rappelait à la réalité (…). Je me suis plutôt attaché à mettre en relief les petits faits qui alimentaient l’espoir et soutenaient le moral et la volonté de s’en sortir. J’ai souhaité mettre l’accent sur la solidarité, la lutte quotidienne pour tenter d’aider celui dont la vie ne tenait plus qu’à un fil, pour chercher les mots susceptibles de créer pour soi et pour les autres, le sursaut de résistance humaine nécessaire à la survie. J’ai fait ce choix. Je laisse le lecteur apprécier ».
Né en 1924, Georges Durou est plutôt précoce en termes de prise de conscience politique. Ceci, il le doit à son environnement familial, et en particulier à l’engagement de son père dans les années 20 au sein du Parti communiste. Très tôt effectivement, son père comprend le danger qui pointe en Europe avec l’émergence des thèses hitlériennes, elles-mêmes relayées par un parti de plus en plus actif. Et déjà durant son enfance, le petit Georges se construit sa propre conscience du monde, confronté aux drames de la guerre et à la nécessité de choisir entre l’inaction et l’engagement. C’est sous son toit qu’il écoutera un député communiste allemand venu de loin pour témoigner déjà des prémices concentrationnaires nazies. C’est sous son toit également qu’il entendra parler de la guerre civile espagnole par le témoignage d’une famille fuyant un pays dressé contre lui-même, et que ses parents accepteront d’héberger en urgence. Cet engagement auprès de l’autre, guidé par l’idée de justice et de liberté avait un nom : la solidarité. Cette valeur sera dorénavant omniprésente sur la trajectoire de Georges Durou, de l’épanouissement du gamin dans ses activités culturelles ou sportives, à l’entrée du jeune adolescent dans la vie active en 1938.
Malheureusement, les premiers bruits de bottes puis la signature du pacte germano-soviétique jette l’opprobre sur le Parti communiste français. L’étau se resserre alors sur tous ceux qui de près ou de loin sont engagés dans ce courant. Mais il en faut plus pour empêcher Georges Durou, seulement âgé de 16 ans de rejoindre les groupuscules clandestins déjà entrés en résistance. Accusé de fabrication et de distribution de tracts hostiles à la sécurité publique, il est arrêté le 21 février 1940. Il ne retrouvera la liberté que 5 années plus tard ! Interrogé tout d’abord au commissariat de Bègles, il rejoint le Fort du Hâ à Bordeaux. C’est là qu’il passe l’année de prison à laquelle le Tribunal correctionnel l’a condamné. L’arrivée de l’occupant allemand l’empêchera de retrouver la liberté. Considéré comme un ennemi, il en connaît le destin, malgré son âge. Passage par le camp de Mérignac dans lequel il voit partir pour Souge les futurs fusillés. Durant cette année 42, Georges fait plusieurs tentatives d’évasion, sans succès. Puis c’est à nouveau le Fort du Hâ (en novembre 1942), puis le camp de Compiègne en janvier 1943 qu’il quitte le 23 pour une destination inconnue… ou presque ! Car ironiquement, l’histoire lui réserve une très mauvaise surprise. Après avoir sauté du wagon à bestiaux qui l’a transporté en territoire allemand et avoir été lancé en colonne par 5 sur un chemin improbable, il comprend sur un panneau de signalisation qu’il se trouve dans la ville même du camp dont un député allemand avait fait la description à son père quelques années plus tôt ! Oranienburg ! Mais cette fois pour Georges Durou et ses camarades, ce n’est pas de l’ancienne brasserie dont il est question mais de l’un des camps principaux du système concentrationnaire nazi, Sachsenhausen, à quelques dizaines de kilomètres à peine de Berlin. Georges Durou sera identifié sous le numéro matricule 58532. Affecté dans les kommandos de Heinkel, Speer, et Klinker, il sera libéré par les troupes de l’Armée rouge sur la marche d’évacuation du camp le 4 mai 1945.
« Devant tous ces yeux tournés vers moi, je ne sais plus si j’ai parlé. Comme tous ces jeunes gens, j’étais intimidé… je pensais à tous mes copains restés dans les camps, aux souffrances endurées et aux promesses faites. Ces promesses, je les tiendrai. Plus encore que de la barbarie de nos bourreaux, je témoignerai du courage et de la solidarité de mes amis dans l’enfer des bagnes nazis. Je me battrai pour la paix, la liberté et la fraternité, comme étant enfant je l’avais chanté avec mes petits compagnons de Bègles. Déjà, l’Assemblée constituante avait adopté le programme politique, économique et social du Conseil National de la Résistance. Ce programme comblait tous mes espoirs en une France solidaire et pacifique, mais il restait à le mettre en œuvre. Ce soir-là, entouré de jeunes gens plein d’ardeur et d’espoir, je n’hésitais pas : c’est dans les combats menés par l’Union des Jeunesses républicaines de France que je m’engagerai. Ma place était là ».
Le livre de Georges Durou va au delà du témoignage. Il nous offre la chance de découvrir la trajectoire d'une homme, riche de son humanité et de son altruisme, malgré les épreuves et la violence de son temps. Une existence exemplaire, de celles qui nous placent sans concession, face à nos responsabilités de citoyens certes, mais surtout d’êtres humains libres et égaux.
Mes printemps de barbelés (1940-1945) – Georges Durou – Editions Les Nouvelles de Bordeaux et du Sud Ouest (2011)