L'odyssée du 31127
« Je ne me souviens plus si c’est à Avignon ou à Nîmes qu’une femme m’attendait au bureau de la Croix rouge. Cette dame me dit que ma mère est très malade et qu’elle ne pourra pas venir m’attendre à la gare. Je comprends. Inutile de me faire un dessin. J’aurais fait n’importe quoi, même retourner en Allemagne, pourvu qu’elle soit en vie, mais à quoi bon ? Tout ce que je peux penser n’a aucune valeur, en face du destin…. » (juin 1945)
Alors qu’il est encore dans le train, sur le chemin du retour, Jean Dombras apprend le décès de sa mère. Il n’en aura confirmation qu’à son arrivée, en constatant son absence sur le quai. Il n’en aurait pu être autrement pour une mère aimante, minée d’inquiétude à imaginer ce fils déporté subir les pires outrages. Si elle avait été vivante, elle aurait couru jusqu’à la gare pour le prendre dans ses bras. Une fois encore, dans ce récit-témoignage couché sur papier par un déporté, surgit cette urgence à choyer l’humanité chez l’Autre, qu’il soit un ami, un camarade de combat, ou sa propre mère. Mais dans ce dernier cas, la blessure est ravivée et attisée par un sentiment de culpabilité incoercible vis-à-vis de ceux qui ont eu à subir, dans l’ignorance et la solitude, la déportation d’un être aimé. C’est alors pour le rescapé une douleur qui s’ajoute à la douleur, indicible. Au point de mettre en balance l’idée d’un retour dans l’enfer des camps avec l’espoir imaginaire de la vie sauvée d’une mère pourtant déjà disparue.
Le récit de Jean Dombras est un témoignage brut, « criant de vérité et d’authenticité » comme le dit le Journal Midi Libre au moment de sa sortie. Tout a « bel et bien existé » ! Malheureusement, la page ne peut se tourner sans dégât, et si le 30 avril 1945, l’odyssée du déporté 31127 prend fin, celui-ci perd à vingt ans à peine « la vivacité de sa jeunesse », écartelé entre son expérience concentrationnaire, et l’absence de sa mère, morte de chagrin quelques semaines à peine avant son retour. De toute cette horreur et de toute cette fureur naît tout de même chez Jean Dombras, tel un sursaut salvateur, la volonté de témoigner pour que jamais « ne puisse se dérouler le voile de l’oubli sur cet accès de folie dans le passé d’un pays européen ».
Jean Dombras est né le 4 mai 1924 à Lunel (Hérault). A 19 ans, il rentre en résistance contre l’occupant et participe à la distribution de tract et de journaux clandestins. Dénoncé, il est arrêté le 21 avril 1944. D'abord interné à Compiègne, il sera envoyé le 21 mai 1944 dans le camp de concentration de Neuengamme puis à Brunswick, son camp annexe installé à proximité d'une usine, et enfin à Ravensbrück où il retrouvera la liberté.
L’odyssée du 31127de Jean DOMBRAS – Editions ATLAS (Béziers)