16 mois de bagne, Buchenwald Dora
« Dora, Dora, mangeur de vie au nom maudit… » - Jean Paul Renard (extrait de Dora poème écrit en juin 1944).
Alfred Untereiner est né le 24 juin 1906 à Veckersviller (57). Installé à Epernay et devenu Frère Birin des Ecoles chrétiennes en rentrant en religion, il participa activement aux mouvements de résistance en cachant les jeunes gens réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO). Il s’occupait alors lui-même de leur fournir des faux papiers d’identité et les mettait à l’abri.
« Il fallait placer les jeunes gens pour éviter leur départ en Allemagne. Il fallait de fausses cartes d’identité. Il fallait chercher et trouver des refuges dans les fermes et dans les maisons de vins de champagne d’Epernay. La discrétion était de rigueur. Cette discrétion fut-elle toujours strictement observée ? Bavardages ? Mouchardages ? Je n’ai jamais su à quelle cause immédiate je devais d’être recherché par la Gestapo de Châlons ». Arrêté dans sa salle de classe le 15 décembre 1943, Frère Birin prononça ces mots à destination de ses élèves : « Chers enfants. Voici la police allemande qui vient m’arrêter. Retournez chez vous, mais retenez les dernières paroles de votre maître. Je suis arrêté pour avoir commis le crime d’être un bon Français. Je crains de ne plus vous revoir. En souvenir de moi, restez de bons chrétiens, restez de bons français ».
Initialement incarcéré à Châlons-sur-Marne, il est dirigé le 18 janvier 1944 vers le camp de Royallieu à Compiègne (60). Il est ensuite déporté le 27 janvier 1944 vers le camp de concentration de Buchenwald dans lequel il reçoit le matricule 43 652. Suivant le conseil d’un autre prêtre, l’Abbé Stenger, ami de sa famille, Frère Birin ne déclara jamais son état d’homme d’église. Ceci ne l’empêcha nullement d’exercer des offices clandestins, et même de délivrer des hosties minuscules lors de communions improvisées. Le 13 mars 1944, il fut transféré à Dora dans un transport de 1200 déportés.
« Nous étions tous épuisés. Il y avait déjà 48 heures que nous étions debout. Vers 3 heures, bousculés par les SS excitant toujours leurs chiens, notre misérable troupeau s’engouffrait dans le tunnel conduisant aux blocs souterrains. J’eus l’impression de descendre tout vivant aux enfers. Tout le long du parcours trainaient des cadavres décharnés, nus ou presque. Des êtres squelettiques, d’un aspect repoussant, les yeux fiévreux enfoncés dans leurs orbites, peinaient en maniant pioche et pelle, tandis que leurs cerbères ne leur ménageaient pas les coups… ».
S’étant déclaré instituteur, il parvint à se faire affecter dans un bureau, l’Arbeitsstatistik, le service chargé de la répartition de la main d’œuvre. Exposé aux mêmes conditions de vie et aux mêmes menaces quotidiennes que ses camarades, il fut à ce poste le triste observateur de comportements inqualifiables de la part de tous ceux qui possédaient dans le camp un quelconque pouvoir, aussi insignifiant fut-il (SS, kapos...). Mais ce fut également à ce poste stratégique qu’il put « influencer » certaines affectations, en écartant par exemple les camarades les plus faibles des kommandos les plus meurtriers. Victime d’une dénonciation, son action fut mise à jour. Torturé, il frôla la mort de très près. Incarcéré d’abord à la prison de Nordhausen, il fut finalement transféré dans le bunker de Dora.
Soldats américains à l'entrée d'un tunnel de DORA aménagé en usine de guerre (1945)
« Il n’y avait aucune comparaison entre la prison de Nordhausen et celle du camp. Les nombreuses arrestations russes avaient surpeuplé les cellules. Celles-ci mesuraient 1m70 sur 2m50 et n’avaient comme ouverture qu’une étroite lucarne à gros barreaux. Nous étions 17 à 23 détenus par cellule ; il était impossible de s’étendre ou de s’asseoir, sinon les uns sur les autres. Les interrogatoires avaient lieu parfois le jour, mais de préférence au cours de la nuit. Quelles scènes horribles j’y ai vues et vécues ! Des nuits entières, j’entendais crier, hurler et gémir. Les SS se mettaient souvent à trois pour frapper sur le même malheureux qui refusait de parler. Quand sous la violence des coups, il s’évanouissait, les SS le trainaient sous la douche froide et reprenaient de plus belle leurs flagellations. Vint mon tour. Les motifs d’accusation ne manquèrent pas… ».
Le 4 avril 1945, ce fut par transport ferroviaire qu’il quitta Dora, entassé avec ses camarades à 100 ou 150 par wagons. Cette fois, il n’y avait pas de toit au-dessus de leurs têtes ! La pluie et le froid fut leur lot permanent. Durant six jours et six nuits, le train suivit une trajectoire hasardeuse pour finalement stopper à environ 10 kilomètres du camp devenu mouroir de Bergen Belsen. Une marche de la mort démarra sur le champ. Elle fut l’ultime épreuve pour beaucoup d’entre eux puisque depuis leur départ ils n’avaient reçu ni pain ni eau. Frère Birin dans son témoignage indique devoir la vie à Paul Chandon-Moët qui « le porta littéralement » jusqu’au camp. Face à l’avancée des troupes alliées, les SS prirent la fuite, et le 15 avril 1945, le camp de Bergen Belsen fut libéré par les troupes britanniques, abasourdies par le « spectacle » qu’elles découvraient.
Quelques mois après son retour, Frère Birin rédigea son récit, en témoignage des souffrances qu’il partagea avec ses camarades durant ses 16 mois de camp. Il le fit en toute humilité, et en toute modestie, comme nombre des survivants qui lui doivent la vie aimaient le qualifier. Il le fit également sans le moindre esprit de vengeance, seulement en quête d’une justice nécessaire.
16 mois de bagne, Buchenwald-Dora – Frère Birin – R. Dautelle libraire éditeur (1946)