LA MEMOIRE EN MARCHE
Libre, fidèle et indépendante. Jetée au vent de l'espérance, contre l'oubli et pour demain...

L'espèce humaine

" Je rapporte ici ce que j'ai vécu. L'horreur n'y est pas gigantesque. Il n'y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L'horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Le ressort de notre lutte n'aura été que la revendication forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu'au bout, des hommes.

Les héros que nous connaissons, de l'histoire ou des littératures, qu'ils aient crié l'amour, la solitude, l'angoisse de l'être ou du non-être, la vengeance, qu'ils se soient dressés contre l'injustice, l'humiliation, nous ne croyons pas qu'ils aient jamais été amenés à exprimer comme seule et dernière revendication, un sentiment ultime d'appartenance à l'espèce.

Dire que l'on se sentait contesté comme homme, comme membre de l'espèce, peut apparaître comme un sentiment rétrospectif, une explication après coup. C'est cela cependant qui fut le plus immédiatement et constamment sensible et vécu, et c'est cela d'ailleurs, exactement cela, qui fut voulu par les autres. La mise en question de la qualité d'homme provoque une revendication presque biologique d'appartenance à l'espèce humaine. Elle sert ensuite à méditer sur les limites de cette espèce, sur sa distance à la "nature" et sa relation avec elle, sur une certaine solitude de l'espèce donc, et pour finir, surtout concevoir une vue claire de son unité indivisible".

L'espèce humaine de Robert Antelme, Editions La Cité universelle (1947)

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