LA MEMOIRE EN MARCHE
Libre, fidèle et indépendante. Jetée au vent de l'espérance, contre l'oubli et pour demain...

Une expérience de l'esclavage

« Le trajet de Radeberg à Buchenwald est l’histoire de plus de deux jours et deux nuits sans boire et sans manger, dans le froid intense, attaché à mon frère « siamois » Roger Hébert. C’est le souvenir d’une bousculade pour monter dans les wagons sous la poussée menaçante des SS, des heures interminables passées debout dans le hall des gares glaciales ou dans les passages sous les voies la mitraillette toujours braquée sur nous. C’est le sommeil affreux auquel il fallait résister pour ne pas mourir. C’est le souvenir d’un désir de repos, fut-il réalisé dans la mort, avec dominant cela, plus fort que cela, la volonté formelle de vivre, d’être libre, ne fut-ce qu’une heure sous le ciel de France… »

S’écartant de la narration chronologique habituelle, André chauvenet fait partager au lecteur son expérience effroyable. La condition d’esclave qui est alors la sienne donne lieu à une double observation : celle de son expérience personnelle, vécue de l’intérieur et singulière, et celle de la masse d’individus dans laquelle chacun avait une place attitrée. Oubliant très souvent le médecin en lui qui aurait pu s’arrêter à l’établissement d’un diagnostic froid, il rapporte les faits vécus qui à eux seuls dressent  les portraits édifiant des gardiens de prisons, des kapos, des SS, des faux médecins nazis dont il devenait parfois le subordonné, et dépeint transversalement les quotidiens croisés des prisonniers au sein du système répressif nazi. Le sous titre du livre nous rappelle d’ailleurs les noms tristement célèbres des prisons et camps traversés par l’auteur : Fresnes, Hinzert, Wittlich, Trèves, Tegel-Berlin, Bautzen, Dresde, Radeberg, Buchenwald.

Mémoires couchées sur papier dans la période post-concentrationnaire immédiate, le récit donne vie à un message d'espoir, tout de même terni par un obscur avertissement sur de supposées prédispositions du peuple allemand à la négation de ses fautes et à la récidive pathologique. L’histoire nous a heureusement démontré le contraire.

Retenons plutôt la forme peu conventionnelle du récit (non chronologique) ainsi que la sincérité du propos :

« Non, on ne peut pas tout dire. Il y a eu trop d’heures de solitude, de silence intérieur, jadis inconnu, d’attente, où le temps s’écoulait comme dans un paysage vide, où rien d’autre n’était là que le rythme des pauvres contraintes quotidiennes pour accrocher et mesurer le souvenir. Il y a eu trop d’heures de vie intérieure profonde, d’assouplissement lassé de la pensée, d’espoir féroce, de logique et lucide certitude de la vanité de tout espoir, d’acceptation, de don, de reprise et encore d’abandon… Et tout cela est au dessus et au-delà de toute description. Et pourtant elles furent la trame même de notre existence et nous en portons la marque à jamais ».

Une expérience de l’esclavage par le Dr André Chauvenet, Imprimerie Nouvelle (Thouars), 1947

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