Chemins de croix
Chemins de croix est un livre-témoignage conçu à six mains. Tout d’abord celles de Jean Moulinet, né à Meaux le 25 décembre 1893, membre du réseau F 2, dont le parcours concentrationnaire passe par Auschwitz, Buchenwald et Neuengamme. Ensuite celles du Général Louis Alexandre Audibert, responsable de l’Armée secrète en France dans la région Ouest. Celui-ci fut arrêté en mars 1944, torturé, puis déporté dans le camp de Buchenwald (on ne peut passer sous silence que sa propre femme fut aussi déportée et assassinée dans la chambre à gaz de Ravensbrück). Et enfin celles de Lucien Victor Delpy, peintre de la Marine qui prête sa compétence pour illustrer le propos des deux premiers.
Comme à chaque fois dans ces témoignages écrits, et alors que nous pensions avoir tout lu, nous sommes embarqués dans un « voyage » inédit en direction des camps nazis. Ce sont toujours les mêmes wagons, mais l’individualisation du témoignage nous implique, et nous place au cœur de l’action, de la peur, de la soif, des bagarres, de l’angoisse et finalement souvent de la mort. A l’arrivée dans les trois camps évoqués, les destins sont à la fois singuliers et collectifs, entourant nos consciences d’un sentiment de tangence permanente à la vie, et de soumission totale à un danger constant et irrémédiable. Au bout du compte, même la libération et le retour dans la patrie elle aussi libérée ne parviennent à faire retomber la tension interne du lecteur et à mettre de coté, au moins temporairement, l’inhumanité vécue.
Nous retiendrons également l’émotion portée par le chapitre dédié aux femmes déportées, « nos glorieuses compagnes de captivité, que ce soit à Ravensbrück ou ailleurs », et aux enfants, « ces victimes innocentes de barbares qui assistaient à leur épouvantable agonie derrière le capitonnage des portes et des hublots sans entendre monter leurs cris et leurs râles ». Ainsi que l’hommage rendu au « travail difficile, dangereux et mortel » des réseaux de la Résistance intérieure qui participèrent à la démoralisation de l’occupant et à son affaiblissement : « nos résistants morts en déportation peuvent dormir en paix. Ils ont atteint leur but. Ils ont sauvé la France ».
Chemins de croix, de Jean Moulinet – Imprimerie Commerciale et Administrative de Brest (1949)
Portrait de Jean Moulinet, matricule 186112