Quand la haine élève ses temples
« Attendre quoi d’ailleurs ?...la nuit où nous sommes plongés ne semble-t-elle pas éternelle ? Notre misère peut changer de cadre, le danger immédiat, d’aspect, nos bourreaux, de visage, le four crématoire dont la cheminée au-dessus de nos têtes mélange inlassablement sa fumée à la brume du Nord est là pour nous rappeler que nous sommes ici non pas pour vivre mais pour mourir. Oui ! Mais chaque heure qui passe est une pierre, minuscule sans doute, mais une pierre quand même ajoutée au mur fragile de notre espérance…».
Louis Maury est né le 2 juillet 1912. Habitant en Normandie, il est confronté au quotidien à une concentration peu commune de forces d’occupation allemandes, de plus en plus sollicitées dans l’hypothèse d’un débarquement allié sur les côtes françaises. Malgré tout, Louis Maury participe à la Résistance, dont il a vécu les balbutiements en 1941, période où « l’apprentissage de la peur commençait » tout autant que « l’émulation fouettait les énergies et les audaces ». Louis Maury y voit déjà un destin pour la Nation toute entière, affirmant que « cette résistance perlée (du début) prouvait aux Alliés que la France continuait, que l’appel du Général de Gaulle n’avait pas seulement groupé autour de lui quelques exilés mais bien réveillé les réflexes d’une nation toujours éprise de sa liberté et prête au sacrifice pour la défendre ». Dans la première semaine de juin 1944, il tombe dans un guet-apens imparable de la Gestapo. Interrogé, il tient bon mais voit sa dernière heure arriver à la vision d’un prêtre, dont il découvre que comme lui, il porte une menotte, et une seule. Tous les deux comprennent alors que ce n’est pas le peloton qui les attend, mais sans aucun doute, « un long voyage ». Ce long et édifiant voyage le mène au camp de Compiègne qu’il quitte par transport ferroviaire le 15 juillet 1944, puis au camp de concentration de Neuengamme dans lequel il devient le matricule 37 378.
Un des points forts du livre est la description du drame de la Baie de Lübeck qui s’achève le 3 mai 1945 par l’une des plus importantes catastrophes maritimes de l’histoire. Initialement enfermé dans les cales de l’Athen, un navire qu’il qualifie de « tombeau », il est d’abord transféré sur le paquebot « Cap Arcona » puis à nouveau sur l’Athen sur lequel il vivra le drame ultime. Il se réveillera finalement sain et sauf sur une jetée, sauvé par les forces britanniques venues apporter leur aide aux naufragés. Il s’agit là de l'une des premières descriptions écrites rapportée par l'un des survivants du drame de Lübeck.
C’est donc le tragique voyage de Louis Maury et de ses camarades que nous découvrons tout au long des pages de cet ouvrage rédigé dans la période post-concentrationnaire immédiate, quelques mois seulement après le retour. A cette époque, les plaies ne s’étaient pas encore refermées, les cauchemars s’attardaient, y compris dans cette France qui n’en finissait pas de tourner la page de l’occupation. En contrepoint, Louis Maury tirait déjà les leçons du passé et tourné vers l’avenir, tentait d’éveiller les consciences : « Là-bas, nous avons su triompher, il ne faudrait pas faiblir maintenant que nous sommes revenus après tant d’épreuves. Notre expérience humaine devrait profiter à tous. L’heure semble venue où il serait possible d’oublier. Mais nous n’en avons pas le droit. Ceux qui sont morts là-bas nous ont laissé des devoirs sacrés à remplir : montrer à beaucoup de Français qu’ils ont mieux à faire qu’à gaspiller leur énergie et leur intelligence, à se déchirer dans des querelles intestines où l’intérêt national est toujours perdu de vue ».
Quand la haine élève ses temples… , de Louis MAURY – Imprimerie de l’Eure (1947)