LA MEMOIRE EN MARCHE
Libre, fidèle et indépendante. Jetée au vent de l'espérance, contre l'oubli et pour demain...

Calvaire de femmes

«  Deux mois déjà ! Deux mois que nous humons avec délice cette chère liberté recouvrée ! Deux mois que nous avons quitté l’enfer nazi ! Est-ce possible ? La réalité parfois m’effraie. Si c’était un rêve ? Un de ces nombreux rêves qu’engendraient ma pensée vagabonde là-bas, en Bochie, et qu’un son guttural, tel que « Arbeiten » ou encore « Schnell, schnell… los, los !!! » arrachait douloureusement de mon esprit.

Le ciel bleu se moutonne d’imposants nuages blancs. Et tandis que mon regard parcourt l’horizon, brusquement il s’accroche à une croix. C’est le cimetière. Des visages aimés surgissent sur l’écran du ciel. Madame Chaudoir…  Madame Van Campenhout… Madame Davreux… Eugénie Deveux… Madame Dufour… Hélène Devaux… Adolphine Groinet… Mademoiselle Marcoux, Jeanne Paquet, etc… ignominieusement tuées par la main du bourreau allemand.

Pauvres martyres ! Je vous vois encore si courageuses. Vous aussi faisiez de beaux projets d’avenir. Vous étiez confiantes en votre étoile… mais hélas ! l’Allemagne, monstre de cruauté, vous a blessées à mort. Courageuses, vous avez lutté contre la maladie, mais malgré toute votre énergie, vous êtes tombées épuisées à la veille du grand jour.

Oh ! Mes chères compagnes, souriez-moi… N’ayez pas l’air si douloureux ! Chassez de mon esprit cette vision de souffrance dont tous vos traits sont empreints. Voyez, déjà de lourds sanglots gonflent ma poitrine. Je vous ai tant aimées !

A travers ma douleur, je ne peux m’empêcher de voir cette longue cheminée du four crématoire, monstre horrible, crachant du feu, seuls vestiges de ce qui me reste de vous. Je voudrais saisir cette flamme et m’imaginer vous étreindre encore. Devant vos images, j’ai presque honte de n’être pas auprès de vous, là-bas, peut-être dans ce petit coin du ciel. Je rougis de ma quiétude actuelle, et pourtant je ne puis vous oublier. Mon corps jouit sans doute d’un certain bien-être, mais au plus profond de mon cœur il existe une blessure qui ne se guérira jamais !

Non ! On ne peut vous oublier. Votre sacrifice et votre martyre doivent être connus ! Je veux retracer votre conduite héroïque et rendre un hommage sincère à votre douloureuse mémoire. Que votre main me guide, chères amies perdues, et donnez-moi le courage de parler de vous, sans pleurer… ».

Un univers insensé traversé par des femmes niées par leurs bourreaux. Ce texte d'introduction rédigé par l'auteur, Constance Liégeois donne le ton du livre. A chaque nouvelle étape, elles ne pouvaient imaginer aller vers une situation pire que la précédente. Et pourtant, il en fut ainsi jusqu'au bout.. 

Calvaire de femmes, de Constance Liégeois, Editions Marsia (1945)

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